La réforme de l’institution militaire s’est déjà faite sentir au Maroc sous le règne de Hassan Ier. Au début du siècle, l’auteur du mémoire constitutionnel de 1907 a proposé un plan de réformes touchant à l’organisation de l’armée. Composée « d’officiers compétents » formés pendant une courte durée par les officiers français, l’auteur distingue l’armée régulière et l’armée populaire, Celle – ci est formée par tout citoyen âgé de 20 à 40 ans. Elle a pour tâches essentielles de :
- Participer avec l’armée régulière à défendre le territoire national.
- Réduire les îlots d’insurrection à l’intérieur du pays.
- Veiller à la sécurité des villes et des grandes routes.
Aussi irréalisables soient- elles, ces propositions reflètent l’état d’esprit de l’époque, à savoir la nécessité de mobiliser tout le pays pour défendre sa souveraineté. Le Makhzen paralysé par ses propres contradictions s’est avoué incapable à contenir l’agression coloniale et de la repousser. Les différentes forces sociales ripostent en ordre dispersé ; des foyers de résistance ont proliféré sans coordination ni cohérence de but un peu partout dans le Maroc. Décrivant cette situation, Maurice le Glay a fait dire à l’un de ses héros de roman : « quand vous voulez les soumettre, vous ne trouvez devant
vous «qu’une poussière humaine ».il vous faut courir après chaque tente parler avec le chef de chaque foyer : et pour les rassembler tous dans la soumission, il vous faut des années. Par contre, lorsque vous les avez contre vous au combat, ils vous tombent dessus tous en même temps, par grosses masses et vous ne savez comment vous en débarrasser ».
Déjà les conditions sociologiques (l’existence d’une paysannerie pauvre) géographiques (montagnes…) économiques (une économie de subsistance), et politiques (l’effondrement de l’appareil makhzénien et la conquête coloniale) vont présider et déterminer par la suite une forme particulière de guerre, à laquelle Abdelkrim assignera une organisation politique dirigeante capable de réaliser un rassemblement national et de repousser l’invasion coloniale. «La guerre du Rif, dira plus tard W.B. Harris, était à coup sûr, l’une des plus étranges guerres qu’ait connues l’histoire. Ce ne fut pas une guerre à égalité de parties, ce n’était pas non plus une guerre entre deux pays. Mais ce fut un combat entre une puissante nation européenne et un chef tribal n’ayant pour ressources que celles de son petit territoire ».
En effet, Ho Chi Minh a déclaré plus d’une fois reconnaître en Abdelkrim un prédécesseur, « héros national et précurseur de la guerre populaire »… le président chinois Mao Tsé Toung a déclaré en substance à des délégations arabes : pourquoi venir prendre en chine des leçons, quand vous avez en Abdelkrim le maître auprès duquel nous nous étions nous- mêmes instruits». Che Guevara, visitant en juillet 1959 le Caire a tenu à rencontrer Abdelkrim, lui reconnaissant par ce geste symbolique une antériorité incontestable dans le domaine de la guérilla. Tout cet hommage n’est pas gratuit.
En effet si l’on considère tant théoriquement que pratiquement Mao Tsé Toung comme étant le premier à mettre en relief le caractère fondamental de la « guérilla » dans une guerre populaire dont il a formulé systématiquement les caractères généraux, ultérieurement développés dans un sens original par Vo Nhuyen Giap et Che Guevara, il faut considérer les rifains comme les véritables initiateurs de la guérilla au XXème siècle. Bien que les rifains n’aient pas distingué nettement sur le plan militaire les trois principaux processus de la défense, celui de l’équilibre des forces et enfin l’étape de la contre offensive, ni subdivisé leur forces en unités d’autodéfense, forces régionales et armée régulière nationale, ils les ont pratiqué empiriquement sur le terrain.
Abdelkrim a compris dès le début qu’il n’est pas possible d’entamer une guerre classique contre les armées régulières françaises et espagnoles, modernes, entraînées et bien équipées, aussi a-t-il entrepris la tactique qu’utilisera plus tard Mao- Tsé Toung : « L’ennemi avance, nous reculons, il s’immobilise, nous le frappons, il recule, nous le pourchassons ». Par son refus du combat en formations régulières, Abdelkrim a modifié profondément la physionomie des opérations. En les dispersant, il a pu renverser progressivement le rapport des forces au cours d’un processus d’usure et de harcèlement des espagnols et de renforcement continu du front intérieur.
Par la connaissance qu’ils ont du terrain et des conditions climatologiques qui l’entourent, les rifains, comme « un poisson dans l’eau », ont su transformer l’ensemble du territoire du Rif en une véritable armée de combat. Ayant l’avantage sur leurs ennemis, ils combattent dans leur pays qu’ils sont seuls à connaître dans ses moindres recoins, « ils ont repéré les passages, les endroits propices pour engager la lutte, ils savent que dans certaines parties de leurs montagnes, le combat au fusil n’est pas efficace, il est préférable de recourir à une avalanche de rochers, qui bien préparée, offre le double avantage d’obstruer les défilés, tout en décimant l’adversaire ».
Chaque citoyen étant un soldat, chaque douar étant une forteresse, le rifain souple ne pratique qu’une guerre de harcèlement et de surprise, convois attaquée, patrouilles anéanties, communications coupées. « Ignore-t-on, dit Abdelkrim, qu’il me suffit de dix fusils et d’une mitrailleuse pour garder une vallée …la nature du terrain permet de tenir de grands espaces avec quelques veilleurs donnant l’alarme quand c’est nécessaire, je puis ainsi prolonger la guerre indéfiniment… ».
La participation multiforme des masses paysannes à la guérilla, a engendré « un système de défense en surface, une logistique et une réserve, un corps de manœuvre qui parvient aisément à garder l’initiative sur un théâtre d’opérations assez exigu, et permet l’application du principe peu contre beaucoup ». La faiblesse des effectifs de l’armée rifaine n’est pas une fable. Le nombre des rifains à la bataille d’Anoual n’a pas dépassé 5.000 face à 20.000 espagnols.
D’une manière générale, la guerre rifaine a servi de modèle et est devenue le prélude des mouvements nationalistes et révolutionnaires. Elle diffère sensiblement des guérillas antérieures en ce sens qu’elle a été utilisée dans le stade «triomphant » de l’impérialisme, elle se distingue également des différentes guerres populaires ultérieures : chinoise, cubaine et vietnamienne dans la mesure où elle est nationale, non guidée par un parti marxiste- léniniste, et ne s’insère dans aucun système philosophique ou idéologique.
Cependant, techniquement, elle recèle les mêmes caractéristiques générales, le sens de l’offensive et du repli rapide, le refus du combat incertain, le secret, la mobilité, le ravitaillement sur l’ennemi et le sabotage…
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