Voici un mot qui a connu une grande fortune depuis sa réapparition étonnante au cours du XXème siècle notamment au cours des années quatre vingt dix. Apparu dans la langue Française au XIIIème siècle, ce vocable qui renvoie à la métaphore du « gouvernail d’un navire ». Il s’agit de piloter quelques choses. C’est la manière et l’art de gouverner d’où d’ailleurs le mot gouvernement…. Tombé en désuétude pendant des siècles, il est ressuscité dans l’univers de l’entreprise notamment dans le domaine du management avant de connaitre une évolution majeure suite aux mutations profondes de la fin du siècle dernier et au processus de la mondialisation. Gouvernance et bonne gouvernance vont dominer le champ non seulement de l’entreprise mais également celui de la gestion publique, le développement politique voire les collectivités locales et l’organisation économique internationale. Le débat sur la gouvernance s’est élargi à la science politique et devenu quasi central dans les sciences sociales à tel point que le développement humain ne peut être envisagé sans la réalisation des principes de la bonne gouvernance exigeant la maitrise des techniques modernes de management. Pas de gouvernance sans gouvernance politique, économique, sociale, locale et globale permettant un climat favorable et propice pour la réalisation du développement. On assiste aujourd’hui à une dynamique commune dans l’usage du terme qui est employé aussi bien au sein du secteur privé que du secteur public. Il suppose un mouvement de décentralisation de la prise des décisions avec une multiplicité des lieux et des acteurs impliqués dans la prise des décisions pour faire face à la complexité des problèmes contemporains. Il renvoie à la mise en place de nouveaux modes de régulation plus souples et plus adaptés aux différents contextes socio- économiques voire culturels fondés sur le principe du partenariat
Le mot bonne gouvernance a été propulsé par les organisations financières internationales de Bretton Woods notamment lorsque les politiques d’ajustement structurel (P.A.S) ont échoué ou ont été jugées insuffisantes pour stimuler la croissance et le développement dans les pays du Tiers Monde. Par la suite, notamment dans les années quatre vingt dix, après la faillite des P.A.S imposées par les institutions financières internationales aux pays du Tiers Monde, on va assister à un glissement du gouvernement vers la gouvernance ; L’Etat doit gérer beaucoup plus que gouverner. Ainsi la bonne gouvernance va s’ériger en tant que nouveau modèle de gestion du pouvoir public et de développement tout en envahissant les différentes sphères de la vie en société. La Banque Mondiale a alors inventé le concept pour mieux contrôler les réformes imposées aux pays du Tiers Monde tout en évitant d’être accusé d’ingérence ou de porter atteinte à la souveraineté des Etats. Le recours au concept s’explique par la nécessité pour elle d’intervenir dans le domaine politique en constatant que l’environnement politique est d’une importance primordiale pour susciter croissance et développement. La légitimité du pouvoir politique est devenue dés lors la pièce maitresse qui permet non seulement aux populations d’exercer le pouvoir mais aussi une condition sine qua non pour favoriser le climat d’entamer les réformes économiques pour développer l’esprit d’entreprise. C’est dans ce contexte particulier qu’on a assisté à l’émergence de la doctrine de la conditionnalité politique qui lie l’aide aux pays du Tiers Monde par les institutions financières internationales au respect d’un certain nombre de valeurs notamment le respect des droits de l’Homme, le choix de la démocratie et la construction d’un Etat de Droit. En outre, ces institutions financières internationales insistent sur la moralisation de la gestion publique et la construction d’un cadre économique régi par les principes de la transparence, l’efficacité et le contrôle et un cadre social nécessitant l’éthique et l’égalité devant la loi. ….
Dés lors, la bonne gouvernance n’est plus l’apanage de l’univers économique, elle devient par la force des choses polysémique et multidimensionnelle en s’infiltrant partout dans les divers domaines de la vie en société, notamment dans le domaine politique mais aussi constitutionnel comme c’est le cas du Maroc avec la nouvelle constitution de 2011 qui peut être qualifiée à juste titre de « constitution- bonne gouvernance ». Dans cet article, nous allons essayer d’analyser cette corrélation entre constitution et bonne gouvernance en mettant l’accent, d’une part, sur l’évolution du concept sa signification et ses multiples facettes déroutantes, et d’autre part, en saisissant le concept dans le cas du Maroc à travers notamment sa traduction constitutionnelle.
GOUVERNANCE : APPROCHES ET PRINCIPES FONDAMENTAUX
Si le concept de gouvernance a émergé dans l’univers de management, il a pris d’autres dimensions en exigeant la mise en place de nouveaux modes de gouvernement face au développement de la pauvreté et la stagnation de la croissance. Selon la Banque Mondiale « la bonne gouvernance est synonyme d’une gestion saine du développement ».
APPROCHES.
La bonne gouvernance est un concept très large qui revêt plusieurs
significations et s’étend à plusieurs domaines économique, politique, sociale, locale, mondiale, voire administratif, universitaire, parlementaire, financière …
La gouvernance économique.
La gouvernance a été tout d’abord centrée dans le domaine de l’entreprise. Le management se définit comme une manière de diriger et de gérer rationnellement une entreprise en mettant l’accent sur l’organisation, la planification, le commandement, la coordination et le contrôle. En d’autres termes, l’entreprise élabore en premier lieu un plan stratégique et définit ses objectifs, met sur pied une structure adaptée à la réalisation de ses plans, progresse grâce au contrôle de l’activité entre dirigeants et la main d’œuvre, harmonise le travail entre ses différents départements grâce à la coordination réalisée par la direction.
Avec les péripéties qu’a connues le monde de l’entreprise. La corporate governance va « se démocratiser » en s’intéressant aux préoccupations relatives au fonctionnement des organes de direction des entreprises et leur relation avec les actionnaires en assurant un certain nombre de principes notamment améliorer la transparence au sein de l’entreprise, faire veiller à l’efficacité de ses employés en les contrôlant et en les intéressant matériellement , séparer les fonctions du Président du Conseil d’administration et le Directeur général, nommer au Conseil des administrateurs indépendants au nombre suffisant, séparer les états- majors qui doivent être indépendants et distincts des départements fonctionnels etc… Ainsi, Tout cela est dans le but d’assurer la bonne gestion de l’entreprise et créer les conditions d’une bonne compétitivité. Un renversement d’optique et de méthode s’est avéré alors nécessaire pour assainir les économies des pays du Tiers Monde et réunir les conditions sociales et politiques de leur décollage. Mais la gouvernance économique ne peut atteindre son but sans un cadre politique propice.
La gouvernance politique
La gouvernance va connaitre un tournant décisif en impliquant un ensemble de mécanismes susceptibles de repenser la gestion de la chose publique en mettant en interaction le gouvernement, l’entreprise et la société civile et en partenariat le public et le privé.
Cependant, une telle dimension n’est pas suffisante, la bonne gouvernance va investir le champ politique qui est le cadre privilégié pour réussir toute politique publique en mettant l’accent sur le triptyque Démocratie, Droits de l’Homme et Etat de Droit. Il s’agit dans le fonds de répondre à la problématique de l’érosion et la crise de l’Etat et plus particulièrement la crise de sa gouvernabilité, de sa légitimité et de sa souveraineté face « au manque de sens de son action ». Ainsi dans cette optique, la gouvernance apparait comme une recherche de légitimité de l’Etat et une nouvelle approche de l’exercice du pouvoir. Aussi est-il devenu primordial de garantir et de favoriser les droits humains fondamentaux , les libertés publiques et civiles, la liberté syndicale, la liberté de presse, l’égalité entre les genres, l’équité à l’intérieur des générations en luttant contre la pauvreté et la précarité qui se développent de manière dramatique, les inégalités sociales qui se creusent de plus en plus et les exclusions sociales qui s’accentuent dans tous les domaines mais aussi entre les générations, c'est-à-dire en mettant l’accent sur les trois pôles du développement durable à savoir la société, l’économie et l’environnement. L’Etat est ainsi appelé à se recentrer sur ses fonctions régaliennes traditionnelles à savoir le maintien de la sécurité intérieure et extérieure et du service public pour permettre aux individus d’exercer pleinement leurs droits et libertés. Ce qui fonde la légitimité du pouvoir, c’est sa capacité de maintenir la cohésion et la solidarité de la société dans un processus de gouvernement réinventé et mieux géré en assurant la protection des droits de chacun dans le respect des principes de la démocratie participative. En somme, « la gouvernance ne se réduit pas à une technique de gestion, elle sert à désigner le mode d’élaboration et de mise en œuvre de l’action, sur la base d’un pouvoir partagé ».
3-La gouvernance locale.
La bonne gouvernance englobe également la dimension locale qui est motivée par plusieurs raisons telles que l’aspiration à une nouvelle manière de gérer les affaires locales et de tirer profit des avantages de la décentralisation, de la déconcentration et de la régionalisation, tout en transformant l’administration locale bureaucratique et sans âme en une administration de consultation dynamique qui rapproche les décisions des citoyens.
En bref, la gouvernance locale est une forme de démocratie participative qui implique l’ensemble des acteurs et de citoyens pour se mobiliser, se responsabiliser, s’informer afin de développer leur collectivité en améliorant la planification locale. En d’autres termes, la bonne gouvernance locale implique la participation de la société civile au développement local surtout par l’augmentation de la transparence au niveau de la gestion locale notamment la gestion rationnelle des ressources existantes. Participation, performance et partenariat sont les trois assises sur lesquelles repose la bonne gouvernance locale. Ainsi celle -ci se présente comme un remède pour répondre aux nouvelles exigences des citoyens qui n’entendent plus réserver l’exclusivité des décisions à la seule puissance de l’Etat au sens large du terme , qui souhaitent par conséquent être écoutés et consultés pour donner leurs avis et leurs propositions et qui veulent être associés activement à la coproduction des projets qui les concernent directement .
4- La gouvernance internationale.
La gouvernance a investi également le champ international en permettant de réfléchir sur l’organisation économique mondiale mais aussi sur les institutions et les organisations internationales. La nécessité d’une gouvernance est liée, selon l’approche de science politique et d’économie politique internationale, à la perte de souveraineté des Etats face à la dynamique de la mondialisation. Les Etats se trouvent ainsi dans l’incapacité quasi-totale de faire face aux flux de la mondialisation au niveau culturel, de l’informatique, de la politique ou de l’économie .La gouvernance globale exprime ainsi la problématique de gouverner sans gouvernement mondial. Elle repose essentiellement sur la coopération intergouvernementale et sur l’action d’institutions multilatérales spécialisées et dans certains cas sur l’action d’opérateurs privés. La gouvernance globale est devenue un thème récurrent notamment avec les effets pervers de la mondialisation et la montée en puissance des contestations et de mobilisation sociale transnationale contre les gouvernements et les institutions internationales. Grosso modo, ces dernières sont accusées de porter leurs préoccupations uniquement sur le seul thème du commerce et les sujets connexes, alors que les opinions publiques sont focalisées sur d’autres préoccupations plus importantes notamment la protection de l’environnement, la diversité culturelle, le blanchissement de l’argent, la sécurité alimentaire, la paix, l’équité entre les pays du Nord et les pays du Sud etc…
LES ELEMENTS DE LA BONNE GOUVERNANCE.
Ces éléments de la bonne gouvernance ont été développés par les différents rapports de la Banque Mondiale, le Haut Commissariat de la coopération internationale et les autres institutions de Brettons Wood, l’union européenne et le PNUD ….. Sans nous étendre à décrypter les éléments de la bonne gouvernance développés par les rapports des institutions internationales, nous allons tenter de dresser un tableau synthétique des principes et des indicateurs les plus répandus de la bonne gouvernance en se limitant aux seuls domaines politique, administratif, économique et social.
Les piliers de la gouvernance politique :
Ces principes peuvent s’ordonner de la manière suivante : la gouvernance démocratique, l’existence d’un Etat de droit, l’accès de tous les êtres humains aux droits fondamentaux, la sécurité, le pluralisme politique, la participation des citoyens aux affaires publiques, les élections libres, crédibles et transparentes, la responsabilité politique, le respect de la loi, la séparation des pouvoirs, le bon fonctionnement du système judiciaire et l’indépendance du pouvoir judiciaire , , la liberté de presse et la libre circulation de l’information, la liberté d’association, la liberté syndicale, la transparence des affaires publiques et privées, la responsabilité et l’obligation de rendre compte.
Les piliers de la gouvernance administrative :
Ils s’articulent principalement autour de la décentralisation, la déconcentration, la régionalisation, la liberté d’accès aux documents administratifs, le contrôle efficace sur l’administration et la transparence des marchés publics, l’efficacité et l’efficience des décisions prises par l’administration, la souplesse des structures administratives, la gestion efficace et efficient du secteur public, la valorisation des ressources humaines, la rationalisation de la gestion publique, la coordination et l’intégration des politiques publiques….
Les piliers de la gouvernance économique :
Il s’agit principalement de la cohérence des politiques publiques en relation avec l’évolution des données économiques, sociales et politiques, la transparence dans l’action et les prises des décisions, l’équité, la capacité de s’adapter, l’évaluation des politiques publiques, le contrôle et l’audit, le partenariat, la performance, la perfection des méthodes de comptabilité et de vérification, la vision stratégique , la gestion efficace des ressources publiques, la moralisation de l’environnement des affaires….
Les piliers de la gouvernance sociale:
Il est question essentiellement de considérer dans ce cadre « l’être humain comme centre du système en le valorisant non comme client ou producteur, mais comme citoyen ». Aussi est-il question de promouvoir l’éthique et l’équité, de lutter contre la pauvreté, de combattre la corruption et de faire participer la société civile à la prise des décisions et la consulter sur tous les problèmes qui la concerne….
Ce tableau synthétique qu’on vient de dresser n’est pas exhaustif, il existe d’autres critères et éléments de la bonne gouvernance, nous avons mis l’accent sur ceux qui sont les plus couramment admis par les différentes institutions financières internationales et spécialisées.
LA BONNE GOUVERNANCE ET LA CONSTITUTION MAROCAINE DE 2011.
Le Maroc a entrepris, depuis les années quatre vingt dix, un train de réformes pour asseoir les jalons d’une bonne gouvernance. Ces réformes ont touché plusieurs domaines économique, politique, social, administratif, judiciaire et ont changé le visage du Maroc dans le sens de modernisation plus accrue .Ces mutations profondes ont été favorisées par de nombreux facteurs internes et externes. Sur le plan interne, le processus d’ouverture politique entamé au cours des années quatre vingt dix avec les révisions constitutionnelles de 1992 et 1996, et l’avènement de l’alternance en 1998, d’une part, la naissance d’une société civile plus exigeante, d’autre part. Sur le plan externe, les faits les plus marquants résident dans l’effondrement du bloc communiste, le triomphe du libéralisme et la poussée de la mondialisation.
Toutefois, la constitution de 2011 a constitué un moment important dans ce processus de réformes politiques, économiques et sociales que le Maroc a engagé durant deux décennies en consacrant les principes de la bonne gouvernance. Elle peut être qualifiée à juste titre de « constitution- bonne gouvernance ». Nous allons essayer dans ce cadre de faire ressortir d’une part les grands principes de la bonne gouvernance dans la nouvelle constitution marocaine et d’autre part les limites de ces principes et les problèmes qu’ils soulèvent.
LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA BONNE GOUVERNANCE DANS LA CONSTITUTION DE 2011.
Selon la nouvelle Constitution de 2011, le Maroc est « une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire, et sociale, fondée sur la séparation, l’équilibre et la collaboration des pouvoirs, ainsi que sur la démocratie citoyenne et participative, et les principes de bonne gouvernance et de la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes en mettant l’accent sur le fait que l’organisation territoriale du royaume est décentralisée basée sur la régionalisation avancée » ( art.1).
Le vocable « bonne gouvernance » a été utilisé onze fois par la nouvelle constitution qui a consacré entièrement le titre XII aux principes de la bonne gouvernance, aux institutions de protection des droits et des libertés, du développement humain et durable et de la démocratie participative. Une lecture attentive des différentes dispositions de la nouvelle Constitution nous permet de distinguer clairement quatre axes fondamentaux relatifs à la bonne gouvernance.
1- ETAT DE DROIT ET BONNE GOUVERNANCE
Afin de consacrer l’Etat de droit, la nouvelle Constitution opte dans le préambule pour le choix de construire « un Etat démocratique régi par la loi et le droit et fondé sur la participation, le pluralisme, la bonne gouvernance, la solidarité, la sécurité, la liberté, l’égalité des chances, le respect de leur dignité et de la justice sociale et les droits et devoirs de la citoyenneté ». Dans ce sillage, l’accent a été mis sur le principe d’égalité devant la loi et l’engagement de toutes les personnes et les autorités publiques à s’y conformer avec l’engagement de ces dernières à fournir les conditions adéquates de la mise œuvre de la liberté et l’égalité des citoyens ainsi que leur participation à la vie politique, économique, culturelle et sociale (art.6).
Dans le même sens, la constitution a consacré une véritable charte des droits et des libertés des citoyens. Le titre II de la constitution énumère les libertés et les droits fondamentaux des citoyens à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental. Tout en garantissant les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes (art. 25) et les libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique..(art. 29), la constitution dispose que « les citoyens et les citoyennes ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique » (art.27). L’Etat œuvre pour l’accès à l’eau et à un environnement sain et au développement durable (art.3).
Par ailleurs, la constitution a érigé la justice en un pouvoir indépendant au service de la protection des droits et du respect des lois. Ainsi, le texte de la constitution sanctionne toute personne qui tente d’influencer le juge de manière illicite (art.109).. De plus, les magistrats du siège ne sont astreints qu’à la seule application du droit. Les décisions de justice sont rendues sur le seul fondement de l’application impartiale de la loi. Aussi, il a été procédé à la criminalisation au niveau des dispositions constitutionnelles de toute ingérence de l’autorité ou de l’argent ou toute autre forme d’influence dans les affaires du pouvoir judiciaire conformément aux exigences de la Convention des Nations Unies de lutte contre la corruption dans ce cadre et en réponse aux recommandations de l’Instance Central de Prévention de la Corruption, soulignées dans son rapport annuel de 2009.
Dans le même ordre d’idées, pour renforcer la séparation des pouvoirs, le Conseil Supérieur de la Magistrature a été remplacé par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire en qualité d’institution constitutionnelle, jouissant de l’autonomie administrative et financière (art. 116). La composition de ce Conseil a été renforcée par l’augmentation du nombre de magistrats élus et par l’intégration de personnalités et d’institutions œuvrant en faveur de la protection des droits de l’Homme et l’indépendance de la justice (art.130).
La nouvelle constitution a également créé une Cour Constitutionnelle qui a remplacé le Conseil Constitutionnel en élargissant ses compétences dans le but d’assurer non seulement la conformité des lois à la constitution mais de protéger également les droits et les libertés des citoyens.
.2- Démocratie, citoyenneté participation et bonne gouvernance:
Les élections libres, sincères et transparentes constituent selon la nouvelle constitution le fondement de la légitimité de la représentation démocratique. « Les pouvoirs publics sont ainsi tenus d’observer la stricte neutralité vis-à-vis des candidats et la non discrimination entre eux. La loi définit les règles garantissant l’accès équitable aux médias publics et le plein exercice des libertés et droits fondamentaux liés aux campagnes électorales et aux opérations de vote. La loi définit les conditions et les modalités de l’observation indépendante et neutre des élections, de même que les sanctions résultant de la violation des dispositions relatives à l’intégrité et la transparence des élections (art.11).
Pour renforcer le rôle central des partis politiques dans l’exercice de la démocratie, le texte de la Constitution identifie leurs responsabilités, les fondements de leur constitution ainsi que l’évolution de leur cadre législatif en loi organique déterminant les bases de leurs activités, les critères d’octroi du soutien financier de l’Etat, ainsi que les modalités de contrôle de leur financement (art.7). De même, « Les partis politiques ne peuvent ainsi être suspendus ou dissous par les pouvoirs publics qu’en vertu d’une décision de justice » (art.9), ce qui constitue un jalon important dans l’édification de l’Etat de droit.
Pour ce qui est de la moralisation de la vie politique, la nouvelle constitution tranche définitivement sur la question de la transhumance puisqu’elle stipule que : « Tout membre de l’une des deux Chambres qui renonce à son appartenance politique au nom de laquelle il s’est porté candidat aux élections ou le groupe ou groupement parlementaire auquel il appartient, est déchu de son mandat ». (art. 61). Ceci contribuera certainement à crédibiliser et à revaloriser l’action politique et donnera un sens au vote.
Parallèlement pour renouer la démocratie participative à la démocratie représentative, la Constitution, tout en consacrant l’article 8 aux syndicats et à la liberté syndicale, elle garantit, par ailleurs la contribution des associations de la société civile à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des décisions et des projets des institutions élues et des pouvoirs publics conformément aux conditions et modalités fixées par la loi. Les pouvoirs publics œuvrent à la création d’instances de concertation, en vue d’associer les différents acteurs sociaux à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques, ( art. 12), tout en permettant aux citoyens de présenter des motions aux pouvoirs publics dans le cadre d’une loi organique déterminant les conditions et les modalités d’exercice de ce droit (art. 14). Le droit pour les citoyens d’accéder à l’information détenue par l’administration publique a été également consacré par la nouvelle constitution (art.27).
La gouvernance territoriale :
Pour la nouvelle Constitution, l’organisation territoriale du Royaume est décentralisée basée sur la régionalisation avancée. Dans cette perspective et afin de promouvoir la gouvernance territoriale, la Constitution considère les collectivités territoriales comme des personnes morales de droit public qui gèrent démocratiquement leurs affaires à travers des Conseils élus au suffrage universel direct ( art.135). L’organisation territoriale du Royaume repose selon l’article 136 de la nouvelle constitution sur « les principes de libre administration, de coopération et de solidarité en assurant la participation des populations concernées à la gestion de leurs affaires et en favorisant leur contribution au développement humain intégré et durable »(art.136).Par ailleurs, Il convient de souligner que les régions et les autres collectivités territoriales participent à la mise en œuvre de la politique générale de l’Etat et à l’élaboration des politiques territoriales à travers leurs représentants à la Chambre des Conseillers.
Pour combler le déficit dans les domaines du développement humain, d’infrastructures et d’équipements, la nouvelle constitution a créé, au profit des régions, un fonds de mise à niveau sociale. Il a mis sur pied, en outre, un fonds de solidarité interrégionale visant une répartition équitable des ressources, en vue de réduire les disparités entre les régions (art.142).
Grosso modo, la Constitution réserve un rôle prééminent aux Régions dans l’élaboration et le suivi des programmes de développement régionaux et des schémas régionaux d’aménagement des territoires, sous l’impulsion du président du Conseil régional, par rapport aux autres collectivités, dans le respect des compétences propres de ces dernières.
Dans ce cadre, une loi organique sera élaborée selon la constitution fixant notamment les conditions de gestion démocratique des affaires, les conditions d’exécution des délibérations et des décisions des Conseils régionaux, les conditions d’exercice du droit de pétition ( art.139), les compétences propres, les compétences partagées avec l’Etat et celles qui leurs sont transférables au profit des régions et des autres collectivités territoriales, le régime financier, l’origine des ressources financières et les règles de gouvernance relatives au bon fonctionnement de la libre administration, au contrôle de la gestion des fonds et programmes, à l’évaluation des actions et à la reddition des comptes.
4- Moralisation et bonne gouvernance :
La nouvelle constitution a consacré quatorze articles à la bonne gouvernance et à ses institutions. Plusieurs principes fondamentaux ont été ainsi constitutionnalisés que l’on peut regrouper en quatre points essentiels :
• L’égal accès des citoyennes et citoyens aux services publics qui sont soumis aux normes de qualité, de transparence, de reddition des comptes et de responsabilité, et sont régis par les principes et valeurs démocratiques consacrés par la Constitution.
• L’obligation de contrôle et d’évaluation : En effet, Les agents du service public qui sont soumis aux obligations de contrôle et d’évaluation doivent se conformer aux principes de respect de la loi, de neutralité, de transparence, de probité, et d’intérêt général en assurant le suivi des observations, propositions et doléances des citoyens.
• une charte des services publics fixant l’ensemble des règles de bonne gouvernance relatives au fonctionnement des administrations publiques, des régions et des autres collectivités territoriales et des organismes publics.
• L’indépendance des instances en charge de la bonne gouvernance qui bénéficient de l’appui des organes de l’Etat. La loi pourra, si nécessaire, créer d’autres instances de régulation et de bonne gouvernance. À la lumière de ces principes, la nouvelle Constitution a tenu à constitutionnaliser les institutions et instances de protection des droits et libertés, de la bonne gouvernance, du développement humain et durable et de la démocratie participative, notamment, le Conseil National des Droits de l’Homme, le Médiateur, le Conseil de la communauté Marocaine à l’Etranger, l’autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes formes de discrimination, la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle, le Conseil de la Concurrence et l’Instance nationale de Probité et de Lutte contre la Corruption.
CRITIQUES FONDAMENTALES DE LA BONNE GOUVERNANCE
De prime abord, il convient d’observer que s’il est coutume de distinguer en droit constitutionnel classique entre les constitutions-lois propres aux pays libéraux et les constitutions-programmes propres aux pays communistes et certains pays socialisants des pays du Tiers- Monde, nous proposons d’ajouter une troisième catégorie de constitutions à savoir « les constitutions- bonne gouvernance » dont le Maroc est initiateur et précurseur. C’est une forme de constitutions qui proclame une série de principes qui tournent autour de la construction de l’Etat de droit, du renforcement de la démocratie et de la protection des droits de L’Homme, la protection de l’environnement, et le développement durable mettant en interaction le gouvernement , le secteur privé et la société civile dans un processus de décentralisation de la prise de décision et promouvant l’éthique, l’équité, la transparence dans la gestion des ressources naturelles, humaines et financières, le respect de la loi, la reddition des comptes et de responsabilité, l’obligation de contrôle et d’évaluation notamment des politiques publiques.
Par ailleurs et malgré l’exploit qu’a connu le concept de la good governance et la dynamique de mutations plus ou moins grandes qu’il a engendré au sein des sociétés du Tiers Monde, il a été mis à l’index par plusieurs auteurs. Le concept de la gouvernance a été critiqué, en raison de l’absence d’une définition précise. La gouvernance, étant liée au processus de la mondialisation, a été imposée par les bailleurs de fond en tant que référentiel sans valeur normative, ce qui rend la tache de la définir plus complexe. La difficulté provient notamment au Maroc de sa constitutionnalisation, en ce sens que l’on se trouve en face d’un véritable paradoxe où les principes de la bonne gouvernance ont été élevés au rang constitutionnel sans qu’ils aient pour autant d’assise normative. Bref, la bonne gouvernance se présente ainsi comme « une notion qui résonne de manière douce et presque caressante mais n’évoque rien de précis ».
Mais la déficience de la norme juridique n’est pas la seule critique adressée à la notion de gouvernance, on lui reproche également son caractère fétiche et d’avoir vidé la notion de démocratie qui est le pouvoir du peuple de son véritable sens en la transformant en simples techniques et procédures savantes de gestion où la société politique est réduite en une grande entreprise dans laquelle la réalité du pouvoir est exercée par la technocratie constituée par des experts et des spécialistes du management. Certains vont plus loin en avançant que la bonne gouvernance n’est qu’une forme de « managérialisme populiste » qui consiste à s’évertuer à forger des concepts scintillants et séduisants mais creux et à orienter l’Etat vers la seule fonction de garant d’un régime de droits dont l’objectif est de favoriser le plein épanouissement du marché et le respect de la propriété privée .
Séduisant et flou, ce nouveau paradigme de l’Etat en vogue qu’est la bonne gouvernance renferme, par ailleurs, une connotation idéologique certaine dans la mesure où il est propre aux seuls pays du Tiers Monde et non ceux des pays développés qui seraient implicitement régis par une bonne gouvernance. En fait, celle-ci est foncièrement liée à des « initiatives sous-tendues par un ensemble de préoccupations, formant une véritable idéologie, que l’on retrouve à l’arrière plan du discours politique actuel de la gouvernance » .
Dans le même ordre d’idées, on fait avancer que la bonne gouvernance manque de réalisme, en créant un univers dichotomique oscillant entre l’idéalisme du discours et son inadaptation à la complexité de la réalité trop rebelle des pays du Tiers-Monde. En d’autres termes, la bonne gouvernance se réduit à une simple charte de bonnes intentions de grands principes, un corpus de recommandations morales qui n’ont la moindre emprise sur la réalité sociopolitique et économique des pays du Tiers Monde dans la mesure où des écarts persistent entre les législations et les dispositions prises, d’une part, et la pratique et les résultats réels à différents niveaux, d’autre part.
A notre sens, malgré ces critiques adressées à la bonne gouvernance, celle-ci, en partant du diagnostic de la mauvaise gouvernance constatée dans les pays du Tiers-Monde et les tares et les dysfonctionnements qui ont paralysé leurs institutions et bloqué jusqu’alors leur développement telles que la corruption, l’absence de tout contrôle dans la gestion des affaires publiques ou privées, le non respect des droits humains, la démocratie en panne en raison du manque de transparence des élections et l’absence d’alternance au pouvoir, l’administration bureaucratique , centralisée, opaque et loin des aspirations des citoyens, le non respect de la loi, bref une gestion catastrophique de l’économie qui a eu pour effet le développement de la pauvreté et l’exclusion sociale et la dégradation de l’environnement…… a eu le mérite d’ériger un certain nombre de principes simples mais efficaces tes que « la transparency », «l’accountability » et « l’empowerment » qui pourraient constituer s’ils étaient respectés le préalable à la croissance et au développement en permettant de générer la confiance et le catalyseur de grands bouleversements politiques économiques.
Force est de constater que la bonne gouvernance ne promet pas de construire un avenir radieux et enchanteur comme le font certaines idéologies mais se veut être un processus pragmatique, sinueux et de longue haleine qui suppose un revirement de méthodes et d’approches dans les modes de gestion des affaires publiques et privées, un changement dans les mentalités et la culture des gouvernants et des gouvernés et une prise de conscience que le développement durable politique, social et économique est un combat de tous les jours. En fait, la vraie problématique de la bonne gouvernance comme soutient à juste titre certains auteurs est « celle de la transposition des discours politiques – et constitutionnels- en outils opérationnels permettant le fonctionnement effectif des règles, assurant les droits individuels, une administration efficace, des contrats sécurisés et des institutions politiques démocratiques ».
Certes, la déficience normative qui caractérise les principes fondamentaux de la bonne gouvernance est une tare congénitale mais elle pourrait être, dans une certaine mesure, corrigée grâce à l’apport de la doctrine et à celui du juge constitutionnel. Les conseils et les cours constitutionnels sont amenés à jouer un rôle capital dans le processus de juridicisation des principes de la bonne gouvernance notamment au Maroc où la nouvelle constitution de 2011 a octroyé de larges attributions à la Cour Constitutionnelle qui a remplacé le Conseil Constitutionnel.
En guise de conclusion, la constitution- bonne gouvernance constitue une étape importante dans l’histoire constitutionnelle marocaine et traduit une volonté affichée de la part des gouvernants de moderniser le pays en se basant sur une nouvelle gestion du pouvoir, en assainissant l’environnement économique et social du pays de toutes les formes de déviationnisme, en luttant contre la pauvreté et la fracture sociale et en créant les conditions du développement durable. La bonne gouvernance, malgré le débat qu’elle a suscité sur ses limites et ses défaillances, a franchi au Maroc un grand pas en intégrant le corpus constitutionnel. Toutefois, le principal enjeu de la bonne gouvernance aujourd’hui consiste, à notre sens, à rapprocher les textes de la réalité et joindre le discours au fait en réalisant dans un mouvement dialectique ce que K.Marx appelle la praxis. Mais il s’agit là d’une autre problématique.
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