|
Les finances de l’Etat sont aujourd’hui encadrées de plus en plus par les juridictions constitutionnelles. Pendant longtemps, elles ont été considérées comme un « corpus » étranger au contrôle constitutionnel, en raison de la complexité de « la chose financière », mais surtout à cause de l’idée que l’on se faisait particulièrement des lois de finances comme étant des lois intouchables, vu leur importance stratégique dans la vie de l’Etat.
Il a fallu du temps pour que l’on réalise progressivement que les lois de finances, à l’instar de toutes les autres lois, peuvent comporter un certain nombre de règles ayant une valeur constitutionnelle et donc susceptibles d’être soumises au contrôle du juge constitutionnel.
Aussi la justice constitutionnelle financière est elle récente.
En France, c’est en 1960 que le Conseil constitutionnel a inauguré une nouvelle ère de la justice constitutionnelle, à savoir la justice constitutionnelle financière, par sa décision du 11 Août 1960, déclarant inconstitutionnelle une loi portant sur la redevance Radio-Télévision (articles 17 et 18 de la loi de finances rectificative des finances).
Depuis cette date, le contrôle des lois de finances par le Conseil Constitutionnel français est devenu quasi-automatique, notamment à partir de la révision constitutionnelle de 1974, à l’exception toutefois de quelques rares lois de finances de 1979, 1986, 1989, 1993[1].
Au Maroc, bien que la Chambre Constitutionnelle qui a précédé la création du Conseil Constitutionnel actuel, n’ait jamais été saisie directement pour contrôler une loi de finances, il n’en demeure pas moins qu’elle a posé les jalons de « la jurisprudence constitutionnelle financière » puisqu’elle a eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de deux lois organiques des finances(Décisions n°23 du 13/12/1979 et 26 du 18/01/1989,) et sur un décret royal portant sur les dispositions de la loi organique relative à la présentation des lois de finances et quatre règlements intérieurs du Parlement (1977, 1979, 1985 et 1991) où la chambre constitutionnelle a érigé son fameux principe qui consiste a nier à la chambre des représentants toute autonomie dans l’établissement de son propre budget , (Décisions n°4 du 20/4/1978 et n°18 du 24/6/1979), principe qui a été d’ailleurs réitéré par le Conseil constitutionnel dans ses décisions n° 213-98 du 28/5/1998 et n° 228-98 du 5/8/1998.
La création d’une nouvelle institution ayant un caractère juridictionnel, indépendante de la Cour suprême à la suite des révisions constitutionnelles de 1992 et de 1996, l’élargissement de sa compétence (contrôle facultatif de toutes les lois ordinaires, selon la procédure constitutionnelle et le contrôle automatique des lois organiques et des règlements intérieurs des chambres du Parlement), la pluralité des institutions ayant la compétence de saisine (le Roi, le Premier ministre, les présidents des deux chambres et le ¼ des membres de chaque chambre au sein du Parlement ), ainsi que l’autorité de la chose jugée que revêt ses décisions, vont donner plus d’élan au contrôle constitutionnel des finances de l’Etat au Maroc.
Aussi allons-nous aborder dans cet exposé deux idées fondamentales : le contrôle des dispositions législatives encadrant les finances de l’Etat et le contrôle des lois ayant des incidences financières.
I- Le Contrôle des dispositions législatives encadrant les finances de l’Etat :
On regroupe sous cette rubrique les lois organiques de finances, les lois de finances et les traités engageant les finances de l’Etat que le Conseil Constitutionnel marocain est amené à examiner soit systématiquement soit à l’occasion d’une saisine enclenchée par les autorités compétentes.
A- Les lois organiques des finances :
Ce sont de véritables constitutions financières, elles ne peuvent être promulguées selon les articles 58 et 80 qu’après que le Conseil constitutionnel se soit prononcé sur leur conformité à la constitution.
Ce sont les seules lois avec les règlements intérieures des assemblées qui sont systématiquement contrôlés par le juge constitutionnel marocain.
Le contrôle exercé par le Conseil Constitutionnel porte non seulement sur la forme (le respect des étapes de la procédure) mais également sur le fond en ce sens que les lois organiques de finances ne doivent méconnaître aucun principe de valeur constitutionnelle, de même qu’elles ne peuvent intervenir que dans les domaines ou pour les objets limitativement énumérés par la constitution. C’est le premier Ministre qui doit, à ce titre, saisir le Conseil Constitutionnel.
Depuis sa mise en place en 1994, le Conseil Constitutionnel marocain a eu l’occasion d’examiner à trois reprises la constitutionnalité des lois organiques de finances. Il s’agit en l’occurrence des lois organiques de finances modificatives. Il a déclaré conforme à la constitution les deux lois organiques de finances, celle de 1995 modifiant le dahir du 18 septembre 1972 portant loi organique des finances (décision n°94-95), et celle du 14 Avril 2000, modifiant la loi organique des finances du 27 Juillet 1998 (décision 389/2000). En revanche, il a censuré les articles 5 et 10 et la formulation partielle de l’article 43 de la loi organique des finances de 1998 (décision n°250/98) en les déclarant inconstitutionnels.
Mais ce qui a retenu l’attention dans cette dernière décision c’est l’argumentation soutenue par le Conseil Constitutionnel à propos de l’article 5 et la formulation de l’article 43 : « le gouvernement y étant habilité » .
En effet l’article 5 prévoit que « Toute disposition d’une loi ou d’un règlement créant des charges nouvelles ou entraînant des diminutions de recettes, de nature à remettre en cause l’équilibre financier de la loi de finances en vigueur, ne peut entrer en application sur le plan financier qu’après que les dites charges nouvelles ou diminution de recettes aient été évaluées et autorisées par une loi de finances ».
Or le Conseil Constitutionnel a épousé un autre point de vue en considérant que « si l’intérêt général exige incontestablement le maintien de l’équilibre financier prévu par la loi de finances, il s’ensuit que le gouvernement évite de recourir à des lois rectificatives pouvant remettre en cause le dit équilibre et doit opposer dans ces conditions sur la base de l’article 51 la constitution l’irrecevabilité de toute proposition ou amendement présenté par les membres du Parlement.
Le Conseil constitutionnel est allé plus loin en considérant « qu’à contrario, les dispositions de l’article 5 précitées en ce qu’elles tendent à prévenir le déséquilibre financier du budget, aboutissent en fait à suspendre l’effet d’un texte de loi qui a été adopté par le Parlement et publié au « Bulletin Officiel » à la suite de sa promulgation par Sa Majesté le Roi, ce qui constitue une dérogation aux dispositions de l’article 4 de la constitution qui stipulent que la loi est l’expression suprême de la volonté de la Nation et que tous sont tenus de s’y soumettre ».
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a déclaré que l’article 43 peut être promulgué, à l’exception de la phrase « le gouvernement y étant habilité ». En effet, cette disposition laisse supposer que le gouvernement a une habilitation d’ordre général par la loi de finances consistant à prendre les décrets. Or l’habilitation, comme on le sait, doit se faire cas par cas, après information du Parlement aussi bien de l’objet de l’habilitation que de ses circonstances et de l’objectif poursuivi, afin de lui permettre d’en décider en connaissance de cause. A défaut, elle risque de devenir une véritable délégation permanente et illimitée d’une attribution du pouvoir législatif au pouvoir exécutif.
B- Les lois de finances :
Il existe trois variétés de lois de finances, la loi de finances de l’année, la loi de finances rectificative et enfin la loi de règlement.
Les lois de finances doivent être conformes et à la constitution et à la loi organique des finances. En effet, depuis la quatrième décision de la chambre constitutionnelle qui a considéré que l’article 104 du règlement intérieur de la chambre des représentants est contraire à la constitution et à la loi organique des finances, et par conséquent que cette dernière constitue une partie du « bloc constitutionnel » qui doit être respecté par le législateur marocain, le Conseil Constitutionnel n’a pas manqué une seule occasion de contrôle pour mettre en exergue ce principe essentiel de la conformité de la loi de finances aussi bien à la constitution qu’à la loi organique des finances (Décisions 386/2000 et 728/2008 etc.…)
1- La loi de finances de l’année :
C’est celle qui prévoit et autorise pour chaque
année civile l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat dans les
limites d’un équilibre économique et financier qu’elle définit. La discussion
et l’adoption de ces lois de finances constitue un moment privilégié de la vie
de la Nation où l’ensemble des activités financières du gouvernement est passé
au crible par les députés.
Depuis sa mise en place en 1994, le Conseil
Constitutionnel marocain n’a eu que deux occasions, à la demande des membres de
la chambre des représentants, pour se prononcer sur la conformité des lois de
finances à la constitution.
La première occasion s’est présentée en 2001 où 97 membres de la chambre des représentants ont saisi la Haute juridiction en lui demandant de déclarer non conformes à la constitution certains articles de la loi de finances de 2002. Le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision en considérant que la loi de finances était entièrement conforme à la constitution. Toutefois ce qui a retenu l’attention et a fait couler beaucoup d’encre, c’est l’appréciation du juge constitutionnel faite aux dispositions de l’article 6 de la loi de finances relatives à la règle de la non-rétroactivité et plus particulièrement à ses limites.
En effet, les requérants ont argué que l’article 6 de la loi de finances était contraire aux dispositions de l’article 4 de la constitution relatives à la non-rétroactivité de la loi au motif que : « l’exonération qui y est prévu, des droits et taxes applicables à l’importation des viandes de volailles, d’ovins et de bovins au profit des forces armées royales s’applique à compter du premier Janvier 1996, ce qui constitue une violation de la règle de non-rétroactivité des lois »
Dans sa décision, la Haute autorité a considéré « que le principe de la non-rétroactivité posé par la constitution ne constitue pas une règle absolue, du fait des exceptions qui lui sont apportées dans le cadre de la loi de finances, justifiées par des critères sur lesquels se base le législateur pour régulariser des situations exceptionnelles, définies par l’administration dans un but d’intérêt général ».
La notion d’intérêt général soulevée par le Conseil constitutionnel pour apporter des limites au principe constitutionnel de la non-rétroactivité a été le point de mire de tous les commentateurs.
Certes, la notion d’intérêt général[2] est floue,
insaisissable voire contingente, mais ne fallait-il pas, dans le cas d’espèce,
rendre hommage au juge constitutionnel marocain pour son hardiesse à innover en
créant une norme de constitutionnalité absente formellement du texte
constitutionnel ?.
La seconde fois, le Conseil Constitutionnel a été saisi par 104 membres de la chambre des représentants pour examiner la conformité de la loi de finances pour l’année 2009 à la constitution, notamment les articles 2,8,26,27,40,41 et 42.
La Haute autorité a censuré dans sa décision n°728/2008 les dispositions du paragraphe II de l’article 8 de la loi de finance 2002 au motif qu’elles renferment « des cavaliers budgétaires » consistant à introduire dans la loi de finances des dispositions sans rapport direct avec son contenu.
Il s’agit en l’occurrence de la mise en place d’une procédure spéciale de recouvrement des amendes afférentes aux infractions de circulation et de roulage par le biais d’un appareil (radar fixe, caméra de contrôle) qui livre de manière automatique des preuves matérielles des infractions consignées sur cette base dans un procès-verbal qui fait loi.
Le Conseil Constitutionnel a considéré que les dispositions du paragraphe II de l’article 8 ne relèvent pas de la compétence de la loi de finances et ne peuvent, de par leur nature, être insérées parmi celles qui visent à améliorer les conditions de recouvrement des ressources, conformément à l’article 3 de la loi organique des finances. Il faut signaler que c’est la première fois que le Conseil Constitutionnel marocain a censuré les cavaliers budgétaires.
2- Les lois de finances rectificatives :
Elles ont pour objet de modifier en cours d’année les dispositions de la loi de finances de l’année. Elles sont au pluriel car il est possible de voter plusieurs aménagements.
Au Maroc, aucune loi de finances rectificative n’a été soumise à l’appréciation de la Haute juridiction. Toutefois, le Conseil Constitutionnel a eu l’occasion, lors de l’examen de la loi 24.00 modifiant l’article 20 de la loi de finances 2000 jugée non conforme à la constitution (décision n°386-2000) de recommander aux membres de la chambre des représentants de recourir à une loi de finances rectificative au cas où ils entendent aménager la loi de finances initiale[3].
Elle constate les résultats à la fin de chaque année civile et approuve les différences entre les résultats et les prévisions de le loi de finances de l’année. Elle est votée après la clôture de l’année financière, ce qui permet au Parlement de contrôler l’exécution des dépenses et des recettes publiques.
Au Maroc aucune loi de règlement n’a été déférée au Conseil Constitutionnel. Les députés ne jugent pas utile la saisine du Conseil Constitutionnel en raison notamment du cumul réalisé dans le vote des lois de règlement qui interviennent le plus souvent plusieurs années après l’exécution de la loi de finances[4].
C- Les traités engageant les finances de l’Etat :
Au Maroc, les dispositions de l’article 31 de la
constitution se contente à stipuler que les traités engageants les finances de
l’Etat ne peuvent être ratifiés sans avoir été préalablement approuvés par la
loi.
En France, les traités internationaux, quels que
soient leur nature, peuvent être aussi déférés au Conseil pour s’assurer de
leur conformité à la constitution par
les autorités compétentes (le Président de la République a saisi trois fois la
Haute juridiction depuis 1958, la troisième en 1992 à propos de la ratification
des accords de Maastricht).
Aussi le contrôle de la Constitutionnalité des
traités revêt-il un aspect particulier.
En effet lorsque le Conseil Constitutionnel saisi, en application de l’article
61, déclare une loi approuvant les stipulations de l’accord international non
conformes à la constitution, celle-ci ne peut être promulguée (article 62).
Ce n’est pas le cas au Maroc ou ni la constitution, ni la loi organique du Conseil constitutionnel n’envisagent une telle situation . En outre, la possibilité d’examiner indirectement le traité[5] engageant les finances de l’Etat au cours du contrôle de la loi de finances demeure plutôt une hypothèse d’école.
Il faut cependant souligner qu’au cours de la discussion du projet de la loi organique relatif au Conseil Constitutionnel à la session d’octobre 1993, l’un des groupes parlementaires[6] au sein de la chambre des représentants a essayé de colmater cette brèche en déposant une proposition élargissant les compétences de la Haute juridiction au contrôle des engagements internationaux. Toutefois cette proposition a été écartée.
II - Le contrôle des lois ayant des
incidences financières :
Dans
cette seconde partie, il s’agit d’examiner les lois ayant plus ou moins des
incidences financières notamment les règlements intérieurs des assemblées, les
lois ordinaires et de se poser enfin la
question de la justice constitutionnelle financière protégeant les droits de
l’Homme.
A-les règlements intérieurs du Parlement :
Les règlements intérieurs du Parlement sont contrôlés systématiquement par la Haute juridiction.
En somme, depuis la création de la Haute juridiction constitutionnelle, douze règlements intérieurs du Parlement marocain monocaméral et bicaméral ont été examinés pour conformité à la constitution. Quatre par la chambre constitutionnelle auprès de la cour suprême et huit par le Conseil constitutionnel .
Parmi les quatre décisions de la chambre constitutionnelle, deux nous intéressent dans la mesure ou elles ont un certain rapport avec les finances de l’Etat : Il s’agit notamment des décisions n°4 du 20 /4/ 1977 et n°18 du 24 /7/ 1979 où la juridiction constitutionnelle a jugé l’article 19 des deux règlements intérieurs successifs de la chambre des représentants qui dispose que celle-ci « jouit de l’autonomie dans l’établissement et la gestion de ses affaires financières » non conforme à la constitution en précisant que la compétence du Parlement de gérer son budget ne veut pas dire qu’il possède la compétence de l’établir. La chambre Constitutionnelle a fondé sa décision sur le fait que la chambre des représentants ne dispose ni de la personnalité morale[7] ni de ressources propres lui permettant de déterminer librement ses recettes et ses dépenses.
Le Conseil
constitutionnel a réitéré la même position sur la question de l’autonomie
financière du Parlement puisqu’il a censuré l’article 39 des deux règlements
intérieurs de la chambre des représentants et de la chambre des conseillers implicitement pour les mêmes raisons
(décision n° 213/98 du 28/5/1998 et 228/98 du 20/7/1998)[8].
B- Les lois ordinaires :
Depuis sa création, les lois touchant plus ou moins aux finances de l’Etat déférées devant le Conseil Constitutionnel aussi bien par le Premier ministre que par les membres des deux chambres ont atteint le nombre de six. Toutefois, parmi ces lois, deux méritent examen parce qu’elles abordent directement les questions d’ordre financier. Il s’agit de la loi sur les paraboles (décision n°37/94) et la loi 24-00 modifiant l’article 20 de la loi de finances (décision n°386-2000). En revanche, les autres lois présentent moins d’intérêt sur le plan purement financier puisque le Conseil constitutionnel au cours de leur examen, a apprécié des catégories juridiques relatives soit à la nature de la loi d’habilitation (loi n°34-98 sur la privatisation décision n° 289/99), soit à la problématique de l’incompatibilité (l’article 42 de la loi 15/97 formant code de recouvrement des créances publiques, décision n° 382/2000), soit à l’autonomie financière du Parlement, principe dégagé à maintes reprises par la Haute juridiction (loi n°32-89 déterminant le statut spécial des fonctionnaires de l’administration de la chambre des représentants, décision n°480/2002), soit enfin à l’audition du gouverneur du Bank Al Maghrib par les commissions permanentes chargées des finances (loi 03-76 portant sur le statut de la Bank Al Maghrib, décision 606/2005).
1- La loi sur les paraboles :
En 1992, le gouvernement a pris la décision d’instituer une taxe de 5.000 DH pour tout parabole déjà installé où à installer par le biais des décrets –lois dans l’intervalle des sessions avec l’accord de la commission intéressée et ce en application de l’article 55 de la constitution (loi d’habilitation).
Le décret-loi pris le 13 Octobre 1992 a été approuvé par la chambre des représentants le 5 Juillet 1994, la loi le ratifiant a été attaquée par 95 parlementaires, pour inconstitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel, sans juger sur le fond, a considéré que la loi est non conforme à la constitution pour vice de procédure parce qu’elle n’a pas respecté les délais requis, le texte étant pris le 13 Octobre 1992, c'est-à-dire après la clôture des sessions au lieu de 8 Octobre dernier délai, soit cinq jours de retard.
Cette décision a fait couler beaucoup d’encre non seulement parce qu’elle a été prise à la suite de la première saisine parlementaire au lendemain de la profonde révision constitutionnelle de 1992, mais surtout en raison de son annulation par le Conseil constitutionnel.
Mais au-delà de l’annulation proclamée par le Conseil constitutionnel, la décision pose dans le fond la question de la méthode du travail du juge constitutionnel et le problème de l’interprétation.
2- La loi 24 modifiant l’article 20 de la loi de finances 2000:
Il s’agit d’une proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi de finances 2000. En effet cette loi soumise à l’appréciation du Conseil constitutionnel par le Premier ministre proroge au 1er juillet 2000 au lieu du 1er Janvier 2000 le délai avant l’expiration duquel les entrepreneurs et les jeunes promoteurs bénéficiaires des prêts conjoints doivent s’acquitter des créances exigibles afin de bénéficier de l’exonération du parlement des intérêts en retard pour la part des prêts financiers pour l’Etat, ou dans le cas où ils ne peuvent s’acquitter du dit paiement , formuler une demande du rééchelonnement de leurs dettes auprès de l’autorité gouvernementale chargée des finances.
Le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions de l’article 24 modifiant la loi de finances au motif d’une part que l’article 4 de la loi organique n°7-98 relative à la loi de finances a expressément stipulé que seule les lois de fiances dites « rectificatives »peuvent en cours d’année modifier une loi de finances de l’année, et d’autre part que la proposition de loi se heurte à l’article 51 de la constitution et l’article 11 de la loi organique des finances précitée car elle tend à diminuer les ressources publiques.
C- Vers une justice constitutionnelle protégeant les droits de l’Homme :
Le Contrôle de la constitutionalité des lois n’a plus comme objet de maintenir l’équilibre entre les « Princes », c'est-à-dire entre les pouvoirs législatif et exécutif. Ce contrôle est de plus en plus exercé dans l’intérêt des citoyens et des collectivités pour les protéger contre les abus éventuels du législateur, notamment pour sanctionner les atteintes aux Droits de l’Homme et aux libertés publiques.
Dans la lignée de cette évolution, on assiste à l’apparition d’une nouvelle génération de justice constitutionnelle, à savoir la justice constitutionnelle financière protégeant les Droits de l’Homme.
En France, la brèche a été ouverte par la fameuse décision du 16 Juillet 1971 sur la loi d’association dans laquelle le juge constitutionnel a recherché une base à son contrôle dans le Préambule qui se réfère à la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 confirmée et complétée par le Préambule de 1946.
La Haute juridiction a argumenté ses décisions par la suite en se basant sur la Déclaration de 1789 pour consacrer le principe d’égalité aussi bien devant l’impôt, devant la loi fiscale que devant les charges publiques. (Décision du 27/12/1973), ou pour concilier les deux principes de valeur constitutionnelle (la sauvegarde de la liberté individuelle et la nécessité de l’impôt (décision du 29/12/1983), ou le droit de propriété etc…
Au Maroc la brèche a été ouverte surtout avec la révision constitutionnelle de 1992 réitérée par celle de 1996 qui a réaffirmé dans son préambule « l’attachement du Maroc aux Droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus ».[9]
Certes, la jurisprudence constitutionnelle en matière financière et fiscale protégeant les droits de l’Homme demeure pour le moins que l’on puisse dire balbutiante mais le juge constitutionnel marocain n’a pas manqué au cours des rares occasions qui lui ont été offertes d’apprécier au regard de la constitution, des notions aussi complexes qu’essentielles se rattachant aux droits de l’Homme telles que l’intérêt général, la non- rétroactivité et ses limites…
La décision du Conseil constitutionnel sur les paraboles aurait pu constituer selon beaucoup d’observateurs un revirement jurisprudentiel, voire une décision fondatrice en matière constitutionnelle financière protégeant les droits de l’Homme, à l’instar de la fameuse décision sur la liberté d’association de 1971 en France, d’autant plus que les requérants ont soulevé des griefs à l’encontre de la loi touchant aux droits et libertés fondamentaux tels que la liberté de communiquer et le droit d’être informé et aux principes fondamentaux de la loi à savoir « l’illégalité de l’enrichissement sans cause » et la légalité de la taxe contestée au regard du droit financier marocain. Mais les sages ont préféré choisir, dans le cas d’espèce, le chemin le plus court en saisissant uniquement l’argument le plus substantiel à leurs yeux pour annuler cette loi et en écartant les autres griefs aussi bien de fond que de forme.
Sans nous étendre largement sur cette question, il faut juste remarquer que dans beaucoup de circonstances il est préférable de laisser le temps au temps. [10]
Au terme de ce modeste exposé sur le Conseil constitutionnel marocain et les finances de l’Etat, il nous semble utile de nous interroger sur les raisons qui entravent la saisine de la Haute juridiction en matière financière. Ces raisons peuvent se résumer comme suit :
- En premier lieu, la saisine du Conseil constitutionnel pour apprécier la constitutionnalité de la loi de finances de l’année n’est ni obligatoire ni automatique en dépit de son importance dans la vie de l’Etat et la gravité de son contenu.
- En second lieu, il existe une certaine précipitation dans le vote de la loi de finances dont les délais sont délimités par la loi organique des finances.
- En troisième lieu, il y a absence d’enjeu chez les groupes parlementaires. La saisine peut être considérée comme un indice de crise politique.
- En quatrième lieu, le quorum de la saisine exigé pour chaque chambre au sein du parlement qui est le ¼ constitue en comparaison avec d’autres droits parlementaires, un frein non négligeable[11] .
- Enfin, on assiste à une certaine hésitation à saisir le Conseil constitutionnel en raison de la complexité et de la technicité de « la chose financière ».
[1] Il faut
signaler également que le Conseil constitutionnel français a déclaré la loi de finances de 1980 non conforme à la
constitution (Décision n°79/110) du 24/12/1979.
[2] Le Conseil constitutionnel français a utilisé
fréquemment dans ses décisions la notion
d’intérêt général. Voir à ce sujet la brillante thèse de Guillaume Merland
« L’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel),
L.G.D.J.2004.
[3] En France, l’Assemblée Nationale a saisi le Conseil
constitutionnel de 1977 à 2003 de 21 lois de finances rectificatives et le
Sénat pour la même durée de 7 lois.
[4] En France,
l’Assemblée Nationale a saisi le Conseil Constitutionnel de plusieurs lois de
règlement notamment celles de 1981,1983 et 1989. Par ailleurs, il faut
constater qu’au cours des dernières années, le retard dans le vote des lois de
règlement au Maroc s’est réduit sensiblement.
[5] Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas le Parlement qui ratifie les traités, mais le chef de l’Etat. Dans ce sens, la chambre constitutionnelle a censuré dans sa décision n°189 l’article 102 du règlement intérieur de la chambre des représentants en soulignant que ce n’est pas à cette dernière que revient la compétence de ratifier les traités mais au Roi.
[6] Il s’agit du
groupe parlementaire du progrès et du renouveau.
[7]- Plusieurs publicistes, notamment Maurice Hauriou,
soutiennent que les assemblées parlementaires jouissent de la personnalité
morale.
[8] En France c’est l’article 7 du décret du 17 novembre
1958 qui dispose que chaque assemblée jouit de son autonomie financière.
[9] Il faut
signaler que bien avant ces deux révisions constitutionnelles, S.M Hassan II,
dans un discours lors de l’installation du Conseil consultatif des droits de
l’homme, a précisé que : « Si nous voulons réellement construire
l’Etat de droit, il est de notre devoir de prendre en considération les droits
des citoyens vis-à-vis de l’autorité, de l’administration et de l’Etat …tel est
donc l’Etat de droit. L’autorité ne doit pas dépasser ses limites… Nous ne
serons véritablement un Etat de droit
que le jour où chaque marocain disposera du moyen de défendre ses droits, quel
que soit son adversaire »
[10] D’origine espagnole « Dar tiempo al tiempo », cette formule critique toute forme de contrainte à l’encontre des processus qu’ils soient biologiques, psychologiques, juridiques, économiques, politiques ou sociaux, et toute tentative de vouloir accélérer par la seule volonté humaine une évolution ou un développement, quel qu’il soit au mépris des lois qui le régissent.
[11] Si l’on prend
comme exemple la France, le quorum est de 60 pour chaque assemblée,
c'est-à-dire le 1/5 pour un total de députés atteignant 881. Au Maroc le Quorum
est variable, 82 pour la chambre des représentants et 68 pour la chambre des
conseillers pour un total de députés atteignant 595, qui se répartit entre 325
au sein de la chambre des représentants et 270 au sein de la chambre des
conseillers.
إرسال تعليق
اترك تعليقا إن كان لك أي استفسار