U3F1ZWV6ZTU4ODU3NTE4MjcwNF9GcmVlMzcxMzI0MTE5NTg2

Réflexions sur l’échec du mouvement rifain (1921-1926) *

En dépit de l’intérêt qu’ont suscité et que suscitent toujours les événements du Rif (1921-1926) en donnant lieu à une littérature abondante (thèses, colloques, études, témoignages etc…) beaucoup de questions demeurent dans l’ombre ou mal cernées, notamment celles concernant l’échec du mouvement rifain. Aussi   proposons- nous de dégager les causes les plus marquantes et les plus déterminantes dans l’avortement de l’expérience d’Abdelkrim Al Khattabi.

En premier lieu, il est à souligner que la cause décisive a résidé dans la supériorité militaire et technologique des deux puissances coloniales européennes.

L’armement, malgré tout l’héroïsme des combattants rifains, a été défectueux face à la sainte alliance coloniale supérieure en nombre et en matériel ultra- moderne ; l’armement rifain pris essentiellement sur l’ennemi ne peut suffire. Abdelkrim, a dénoncé avec véhémence à maintes reprises cette horrible civilisation de fer de l’occident qui a fait de lui un barbare simplement parce qu’il était faible et mal armé.

Par ailleurs, il faut convenir que l’autodéfense paysanne a figé dans les dernières années la résistance rifaine dans une attitude qui la désigne aux coups de l’adversaire et la réduit à des objectifs localisés qui l’éloigne progressivement de la nécessité et de l’exigence d’une vision générale à l’échelle de tout le Maroc.

Sur le plan géographique et stratégique, le Rif se trouvant écrasé entre les deux puissances coloniales, la France et l’Espagne, n’a eu aucun arrière pays solide pour se replier ; la république est demeurée profondément rurale, sa seule agglomération urbaine a été Chaouen. Le non occupation de la ville de Melilia a constitué une erreur stratégique qu’Abdelkrim regrettera plus tard.

 

* Paru in "Al Assas" n°83, 1988.


Sur le plan politique : « la vraie cause politique qui mérite d’être soulignée est que l’appareil étatique de la république est resté sommaire, qu’il n’a pas bénéficié de l’élite marocaine, qu’il n’a reçu aucune aide directe ou indirecte de « l’establishment » (notabilités intellectuelles maraboutiques et économiques). Si les chefs de résistance écrivaient à Abdelkrim et lui dépêchaient des courriers,

c’était surtout pour lui demander de l’aide »[1]. Le mouvement de libération rifain n’a pas réussi à faire la jonction militaire et politique avec les autres foyers de résistance dans le pays et par ce fait n’a pas pu engager une lutte de libération nationale à l’échelle de la nation entière. 

Sur le plan institutionnel, la République du Rif n’a joui ni du temps nécessaire, ni des conditions objectives propices pour consolider les institutions qu’elle a créées, aussi l’appareil étatique, en dépit de l’ordre et la sécurité qu’elle a pu instaurer [2], a souffert de la faiblesse d’être comme «  une boule de neige », une fois disloqué tout l’ensemble s’estompe sans laisser de trace.

Par ailleurs, il faut souligner que dans l’esprit des tribus rifaines l’appareil centralisateur de l’état n’a été qu’une nécessité provisoire condamnée à disparaitre avec la fin de la guerre et le retour à la situation normale. Abdelkrim exprime bien cette idée lorsqu’il dit :« …Mais j’ai été incompris, les gens ont cru que j’allais après la victoire, redonner leur autonomie aux tribus…. »[3].

Une autre cause de l’échec du mouvement rifain a résidé dans le rôle néfaste joué par le maraboutisme.

En effet, dans le Nord du pays, certaines zaouias ont joué un rôle équivoque vis-à-vis de la résistance rifaine. Certains de leurs chefs, notamment Abderrahman Derkaoui, chef de la zaouia Darkaoua et hmidou El Ouazzani, chef de la zaouia d’Ouezzane ont « entrepris une activité d’intoxication et de défaitisme au nom de la religion, auprès de leurs adeptes »[4].

Evoquant cette question, Abdelkrim Al khattabi explique : «Une cause de ma défaite a été le fanatisme religieux… je reconnais que j’ai dû utiliser moi aussi le sentiment religieux à certains moments (quand les Espagnols ont pris Ajdir par exemple…). Ces gens (les marabouts), conclut- il, n’ont pas participé à la lutte parce qu’ils disaient que le combat pour la patrie ne les intéressait pas, leur rôle se limitait à la défense de la foi, j’ai tout fait pour débarrasser ma patrie de leur influence qui constitue un grand obstacle sur la voie de la liberté et de l’indépendance »[5].

Sur le plan idéologique, la République du Rif, étant à l’avant- garde des résistances anticoloniales ultérieures n’a pu s’inspirer d’aucune expérience de prise de pouvoir dans un pays colonial par un mouvement de libération nationale.

Enfin, il faut signaler que « l’utilisation des sciences sociales » a porté un coup fatal à la vie de la République du Rif. Les dirigeants rifains ont regretté sur le tard d’avoir favorisé certains contacts et facilité certaines études et observations dont l’adversaire a tiré profit. R. Montagne raconte l’histoire du démantèlement de l’Etat rifain comme suit : « Je venais, écrit-il, de passer deux années dans le Haut –Atlas occidental, avec l’appui du Maréchal Lyautey, pour étudier le conflit des grands caïds avec les républiques berbères des hautes vallées, lorsque les événements du Rif prirent brusquement un tour tragique. Je proposai mes services pour étudier, par des reconnaissances d’aviation et par informations la zone dissidente du Nord. En quelques mois, il fut possible d’établir une carte provisoire de l’ensemble du massif, d’étudier les tribus, leur organisation ancienne et leur vie politique, enfin de rassembler sur les évènements des informations essentielles qui permettraient de mesurer aussi exactement que possible la puissance et aussi la fragilité du mouvement ».

Les leçons tirées de ses études sur les berbères et le Makhzen lui ont suggéré une stratégie consistant à isoler et à anéantir la tribu dirigeante.

«Les chemins de montagne montraient l’existence d’une voie de passage sûre et courte au nord de Taza qui pouvait laisser passer nos troupes jusqu’à Targuiste, centre géographique de la confédération guerrière d’Abdelkrim. Si l’on s’y jetait d’un seul bond, il semblait facile de désorganiser en un instant, par l’arrière de nos troupes, un mouvement plus puissant par ses apparences que par sa réalité… mais il était permis d’espérer qu’en agissant par la force sur le noyau central de la coalition on réussirait à la dissocier d’un seul coup »[6].

D’une manière générale, on peut dire qu’Abdelkrim a été un leader désaccordé avec son temps et son milieu. Ni les conditions nationales, ni la situation internationale n’ont été réunies pour favoriser son action réformiste et son entreprise anti- coloniale. Il est venu trop tôt pour le phénomène qu’on appellera vingt cinq ans plus tard le phénomène de décolonisation.



[1] - Youssoufi ( A), les institutions de la République du Rif in Abdelkrim et la République du Rif, colloque international d’études historiques et sociologiques 18-20 janvier 1973, Maspero, Paris, 1976.

[2] -« Il importe de signaler que si, notre avance s’est faite presque sans pertes, si les soumissions ont été si rapides, c’est qu’Abdelkrim avait restauré l’ordre dans le pays et l’unité dans le commandement » rapport du colonel Corap annexe n°6 au rapport du Général Boichut, cité in « le commandement français et ses réactions… » Daniel Rivet in colloque sur « Abdelkrim et la République du Rif ».

[3] - Revue Al Manar, publiée au Caire 5 novembre 1926.

[4] -Allal EL Fassi, «les mouvements d’indépendance au Maghreb Arabe » éditions Gassus, Tanger, 1957.

[5] - Revue Al Manar, 5 novembre 1926.

[6] - Montagne (Robert), Révolution au Maroc, ed., France- Empire, Paris 1953.

تعليقات
ليست هناك تعليقات
إرسال تعليق

إرسال تعليق

اترك تعليقا إن كان لك أي استفسار

الاسمبريد إلكترونيرسالة